mercredi 10 juin 2009

In the mood for love / Wong Kar-Wai


In the mood for love reprend un thème déjà largement exploré par la tragédie (le Cid) mais remis au goût du jour au cinéma par Brève rencontre de David Lean ou Sur la route de Madison de Clint Eastwood : deux êtres s'aiment mais préfèrent renoncer à leur amour plutôt que de flétrir les idéaux auxquels ils croient. Le Cid ou Brève rencontre posaient la lecture classique du renoncement : les idéaux valent qu'on leur sacrifient l'amour. Dans la pièce de Corneille, Chimène et Rodrigue finissent par vivre leur amour. Cet amour, assumé trois jours, précieusement conservé et surtout transmis comme la plus haute des valeurs aux enfants était le message apparemment sombre mais finalement lumineux de Sur la route de Madison. Seul In the mood for love ne défend rien, se contentant de montrer l'aporie dans laquelle s'enferment les personnages. La grande différence du film de Wong Kar-Wai avec ses illustres prédécesseurs est en effet de ne pas valoriser le renoncement auquel il soumet ses personnages mais de traiter le thème même du renoncement comme une tragédie. A la fin du film, le secret enfoui dans la splendeur des temples d'Angkor est bien fragile. Ces temples seront un sanctuaire moins sûr qu'un simple trou au pied d'un arbre. La fragilité de la petite motte de terre fixée à la verticale est comme un écho ironique de l'imposante stature du général de Gaulle, étonnante intrusion d'une réalité politique triviale, pourtant tout aussi incapable de protéger du génocide Kmer à venir. Le carton calligraphié le confirme : la vie passée a totalement disparue : le souvenir ne peut plus être perçu qu'au travers d'une vitre sale. Cette volonté de s'attacher à décrire une impasse, Wong Kar-Wai l'avait déjà entrepris dans Nos années sauvages où ses tout jeunes adultes erraient en quête de séduction toujours décevante et jamais aboutie. En se débarrassant des dernières traces de pathos adolescent, Wong Kar-Wai réalise ici une des plus belles oeuvres d'art maniéristes. Les rapprochements avec les oeuvres du Gréco ou du Parmesan sont évidents aussi bien au niveau du dessin, des postures que de la couleur. Les somptueuses robes longues et moulantes de Maggie Chung semble allonger son corps comme celui de La Madone au long cou du Parmesan. Le décors en profondeur de l'escalier, dans lequel Maggie ou Tony Leung s'engouffrent sous le regard de l'autre, accentue aussi la verticalité de l'image. Le contraposto maniériste, cette façon d'utiliser la figure de l'X, apparaît aussi plusieurs fois, notamment lorsque les personnages doivent désaxer leur corps dans le couloir trop étroit pour pouvoir se croiser. Le parcours de la caméra et celui de Maggie forment également un X dans ce mouvement d'appareil consistant à prendre au ralenti le corps entier de Maggie Cheng avant de remonter vers son visage dans le sens inverse de sa marche ralentie. Car à l'allongement des corps répond l'étirement du temps dans ces séquences répétant des moments d'éternité, filmées au ralenti sur une valse new-age, triste et envoûtante. Le choix des couleurs saturées est aussi primordial. Au sein d'un Hong-Kong encore trop terne où l'on préfère les cravates non voyantes, les deux héros ont choisi un hôtel aux tentures d'un rouge iréel et le maquillage sophistiqué de Maggie accentue sa fragilité, la faisant ressembler à une Marilyn peinte par Warhol. Tous ces effets s'apparentent d'autant plus au style maniériste qu'à des effets baroques que Wong Kar-Wai n'élargit jamais le champs, contorsionnant sa caméra dans des espaces trop petits et refusant de cadrer les époux adultères ou de saisir, par contrastes avec ses amants si purs, les commérages sociaux. Ici, même la pluie ne réveille pas les héros de leur rêve. Les orages ont beau s'abattre sur eux, rien ne les conduit à évoluer. A la fin de Sur la route de Madison, Eastwood apparaissait une dernière fois à Meryl Streep derrière un rideau de pluie. En voyant s'éloigner le petit feu rouge à l'arrière de la voiture, il savait qu'il se condamnait au rôle de fantôme d'un autre temps. Ici, même la mémoire échappe aux personnages, soumis à la seule humeur de l'amour et de l'élégance. (source Ciné club de Caen 2001).




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