vendredi 26 juin 2009

Trash yéyé / Benjamin Biolay


"Bien avant qu’on se soit connu
Bien avant qu’on se soit parlé
Bien avant que je t’aie vue nue
Je savais déjà que je t’en voudrais"

C’est ainsi que débute le nouvel album du personnage si particulier qu’est Benjamin Biolay; quatrième album d’une carrière au destin étrange : adulé à l’époque de son premier essai ("Rose Kennedy", sorti en 2001, disque impressionniste et impressionnant qui dressait le portrait d’une Amérique mythifiée avec sample de Marilyne Monroe à l’appui), puis démoli par la suite alors que ses chansons, elles, n’ont cessé de s’amélioré au fil de l’eau, Biolay est encore perçu aujourd’hui d’un mauvais oeil; on ne sait pas trop pourquoi à vrai dire. Un problème d’image peut être ? Le type de Saint-Germain-des-prés qui sirote un cocktail au Café de Flore avant d’aller voter Sarkozy ? Tout faux. Plutôt : un type issu de la province et pas si propre sur lui qu’on n’a bien voulu le dire. Biolay n’a jamais été ce gentil dandy un peu lisse et hautain comme on lui a souvent reproché. Bien sur quand on parle sans cesse de "l’image", on oublie l’essentiel : le songwriting, les arrangements, les textes bref "les chansons" dans leurs plus simples appareils. De 2000 à 2006, Benjamin Biolay a tout simplement écrit les plus belles chansons avec des mots en français dedans. Pas d’innovation mais juste une qualité d’écriture et de composition indéniable. Et dieu sait qu’il en a fait profiter (peut être même trop) : Salvador, Gréco, Frégé, Mounier, sa charmante soeur Coralie Clément et surtout Keren Ann pour qui il a réalisé un chef-d’œuvre de folk à la française nommé "La disparition". Une fois ce travail accompli, il est passé à autre chose; "A l’origine", son troisième album solo, laissait la place aux sonorités urbaines du hip hop et du rock. "Trash yéyé" est la suite de cet album qui commercialement était un échec. On écoute là une œuvre d’une personnalité forte, d’un animal traqué et blessé par l’hypocrisie d’un show qui n’est plus que business. Loin de ce qu’en disent les médias, l’album de l’homme au initial pop B.B, est loin d’être un manifeste de chanson franchouillard; tout sent bon au contraire les techniques de composition anglo-saxonne; le son est travaillé ici comme jamais (écoutez l’album au casque pour apprécier le travail réalisé au Labomatic par Bénédicte Schmitt, ingé-son et co-réalisatrice du disque). Bref c’est pas Bénébar. On en entend déjà certain ricaner d’avance : pourquoi ce titre "Trash yéyé" ? Alors oui Benjamin pourquoi ? Pas vraiment de réponse, peut être une référence aux paroles plus crues et violentes qu’à l’accoutumée. L’amour (ou plutôt le désamour) est ici évoqué de long en large; il est craché, vomit, il est beau et à la fois douloureux. Ce disque, et on est obligé d’en faire mention, est un disque de rupture, en effet Biolay l’a réalisé peu après la séparation avec sa femme, l’actrice Chiara Mastroianni. Chronique d’une rupture donc, d’une dépression, d’une tristesse passagère. Ça donne à peu près ça :

"J’ai baissé la tête
J’ai ôté mon chapeau
Sans jouer les vedettes
Sans la vie de château
A l’évidence
Je vais payer pour mon imprudence"

Chronique aussi de la chair à la fois sensuelle et sale, souvent triste mais néanmoins indispensable :

"Taisez vous
Mettez vous à genoux
Moi je reste debout
C’est pas la peine d’être à la hauteur pour rien"

Musicalement c’est fort, voire très fort. Extrêmement varié et rondement mené, Biolay impose des arrangements splendides, jamais surchargé. Des chœurs d’opéra, des cordes, des clavecins, des beats ou des trompettes traversent par petites touches les douze titres (voire treize) de ce "Trash Yéyé" à la fois sombre et lumineux par son orchestration. Benjamin Biolay y pose sa voix, plus mise en avant que jamais (est-il dans la pièce avec nous ?).
L’album regorge de trouvaille et d’audace ("Qu’est que ça peut faire" avec sa rythmique discoïde très 80’s) et on pense à coup sur au Gainsbarre période "Sorry angel", mais en mille fois mieux. Biolay se fout à présent de ce à quoi il peut bien ressembler et quelles influences transparentes irradient sa musique; il a digéré cinquante ans de musiques populaires pour en faire sa propre synthèse et se lâcher enfin (Cactus Concerto, chanson d’adieu hilarante - une première chez Biolay).
Dominique Blanc-Francard à propos du bonhomme : "Son talent musical est inouï. Gainsbourg avait la même facilité désarmante. Ce n’est pas banal, un musicien qui écoute au casque sa musique composée la veille et griffonnant sur un bout de papier les partitions pour le quatuor à cordes qui patiente dans la cabine du studio. Benjamin n’a pas seulement l’oreille absolue, il a aussi l’orchestration absolue. C’est stupéfiant. Sa vie c’est d’écrire des chansons. Sinon il est perdu." Si on résume bien, cet album est un des plus aboutis de la carrière du musicien, peut être même marque t’il la fin d’un cycle. En tout cas : celui qu’il a toujours voulu faire mais qu’il n’arrivait pas à exprimer avant avec une telle perfection. Ici tout est fluide, cohérent et moderne sans qu’il ne perde une seule fois son identité de chanteur français. Espérons que cela soit récompensé d’un succès public, même si Benjamin Biolay semble à présent très loin de tout ça. Sur la pochette, il pose entrain de siroter, le regard las, un de ces si vénéneux soda américain ; l’esprit dans la vague tourné vers un ailleurs qui n’est peut être pas la France (Woodstock ?), ni la musique (le cinéma, la littérature ?). A vrai dire, fatigué d’avoir à convaincre, il semble maintenant s’en foutre royalement. Il a bien raison le bougre, peut être sait il, lui aussi, qu’il vient de signer là un des meilleurs albums de variété française, au sens noble du terme, de ce début de siècle. Rien que ça.

"De beaux souvenirs
Room service à volonté
De beaux souvenirs
Belle vue sur le bon Marché
De beaux souvenirs
A défaut d’une suite
Seul dans la chambre 8."

Un titre caché à la fin du disque nommé "Woodstock" (Source : The French Touch, 2007).