dimanche 21 juin 2009

Les Ogres de Barback


C'est l'un des fleurons de la scène autoproduite française qui a fait converger à l'Olympia 7 000 personnes, sans battage médiatique, pour une série de concerts fin février. Leur public, dont la moyenne d'âge ne devait pas excéder 25 ans, a investi ce haut lieu du music-hall parisien grâce au bouche à oreille et à Internet, où circulait une bande-annonce facétieuse.

Comme d'habitude, les Ogres font l'inverse de ce qu'il aurait fallu faire, et ça marche. Sans faire de grande campagne de promo, ils retrouvent à chaque nouvelle tournée un public grandissant d'aficionados. Les Ogres n'ont pas sacrifié leur liberté artistique, et ne sont pas passés par la case marketing.

Voilà treize ans que ces quatre frangins-frangines se sont lancés sur les routes. Ce quatuor -violoncelle, flûte, violon et accordéon- indépendant est un phénomène à lui tout seul, presque une bête de foire, tant sa réussite défie les règles du jeu de l'industrie musicale. Ces saltimbanques infatigables sont tous des musiciens hors pair qui jouent d'une quantité d'instruments. Ils prouvent qu'on peut fidéliser un public conséquent grâce à la scène, en marge du sérail musical.

En sillonnant les routes sans relâche depuis 1994, les quatre frères et soeurs-jumelles Burguière ont su imposer la poésie néoréaliste de leurs chansons et leurs airs rock-musette-tzigane. Le groupe fait en moyenne une centaine de concerts par an -jusqu'à 150 à leurs débuts.

Le groupe remplit maintenant des salles de 3 000 places, comme la Cité des Congrès à Nantes ou au Grand Angle à Grenoble, et a vendu ses dix albums précédents en moyenne à 60 000 exemplaires, sans aucun plan média. Un exploit en ces temps troublés, où les ventes de disques dégringolent au profit des supports numérisés.

Chaque tournée des Ogres est une nouvelle occasion pour ces artistes de concrétiser les projets les plus fous. Pour celle-ci, le groupe a mis en place le principe des « triplettes ». Dans certaines grandes villes, ils jouent trois soirs de suite dans trois lieux différents. Ce sera le cas de Bruxelles, où la tournée actuelle se terminera fin mars.

Toujours au chapitre des dingueries, les Ogres tournent quand ça les chante avec un chapiteau et un campement de caravanes. L'objectif de cette aventure est de se produire dans des lieux reculés, sans infrastructure pour les accueillir, avec derrière la tête l'idée de toucher des publics habituellement inaccessibles.

Leur répertoire convoque Bruant, Georges Brassens, Léo Ferré, Pierre Perret, qu'ils écoutaient enfants avec leurs parents. Mais aussi Renaud, Bérurier noir, la Mano Negra et Emir Kusturica qu'ils découvrent adolescents.

Très vite, ils ont été adoubés et soutenus par certaines pointures de la scène alternative française comme Grégoire Simon des Têtes raides, le groupe Tryo ou Manu Chao, qui était l'invité surprise de leur dernière date, mercredi dernier à l'Olympia. Ils ont également collaboré à l'avant-dernier album de Pierre Perret avec le groupe Debout sur le zinc.

« On s'est professionnalisés sans vraiment le décider. »

Les Ogres ont commencé par tourner les week-ends. Normal, si les garçons, Fred et Sam, avaient alors atteint leur majorité et pouvaient se relayer au volant de la camionnette, les jumelles, Alice et Mathilde, fréquentaient encore le lycée. Alice raconte :

« On s'est professionnalisés sans vraiment le décider. On a touché des cachets de plus en plus nombreux et on a continué après le bac sans se poser de question. Nous vivons de nos cachets et nous réinvestissons l'argent de la vente de nos albums dans le disque à venir et dans les projets qu'on a envie de monter.

Notre premier album a vu le jour grâce à une souscription qu'on a lancée auprès du public dans les concerts. Depuis, les ventes de chaque nouvel album nous permettent de financer le suivant, et ainsi de suite. »

Quelques tournées des bars et des festivals plus tard, en 2000, l'oeuvre des Ogres compte trois opus. Ils décident alors de créer leur propre label, en embauchant des potes aux postes de manager, tourneur ou techniciens.

Ils ont créé leur propre maison de disques, Irfan, et prennent même en charge la distribution de leurs disques. Un vrai défi, comme l'explique Sam, le frère :

« Avant qu'on prenne la décision de créer notre propre maison de production et de distribution, on a été sollicité par certains petits labels qui nous tendaient des contrats auxquels on ne comprenait rien.

Alors plutôt que de signer et de se faire rouler dans la farine, on a préféré s'autoproduire. Quand on a pris la décision d'assumer également la distribution, on n'a pas été pris au sérieux.

Les disquaires nous riaient au nez. Aujourd'hui, nous avons un bon relationnel avec eux. Ils nous soutiennent sans réserve."

« Nous ne faisons pas partie du milieu »

Mais les Ogres demeurent un groupe alternatif. Interrogés sur l'absence de tapage médiatique à l'occasion de leurs trois dates à l'Olympia les deux Ogres répondent sans se biler :

« Ce doit être la rançon de notre indépendance, nous ne faisons pas partie du milieu et sommes peut-être trop à contre-courant. »

Ils disent s'estimer tout simplement heureux d'avoir pu concrétiser leur rêve :

« On a la conscience aigue qu'une telle aventure ne serait plus possible aujourd'hui. Depuis 2003 et l'entrée en vigueur du nouveau protocole pour les intermittents du spectacle, on a vu un certain nombre de nos amis musiciens jeter l'éponge pour trouver des jobs alimentaires. » (Source : Rue89, 2008)