On peut revoir sereinement Pulp fiction, habile recyclage des restes d'un cinéma de genre trépané.
En décrochant la Palme d'or à Cannes il y a tout juste deux ans, Pulp fiction déclenchait une de ces roboratives polémiques qui bousculent un peu le train-train habituel disputatio jouissive, quoique légèrement disproportionnée vu les ambitions et le cadre somme toute modestes de l'objet. Ce parangon de junk-culture américaine (romans pulp et séries Z, surf-rock et soul-music, milk-shakes et hamburgers) valait-il que l'on pousse aux larmes une présidente du jury aussi classieuse que la Deneuve ? Il y avait donc les pro-Tarantino, parmi lesquels ce journal choix que l'on ne reniera pas aujourd'hui que "l'effet QT" est passé ; et puis les contre, qui accusaient le maverick speedé de bêtise, de pose arriviste, de cinéphilie vaine et même (on ne se marre pas) de fascisme. Maintenant que le plat est refroidi, que beaucoup de litres de sang ont coulé sur d'autres écrans et qu'il est possible de revoir Pulp tranquillement dans son salon, on peut refaire le point sereinement. Depuis deux ans, Tarantino n'a plus réalisé le moindre film ; il a casé des scénarios (True romance, Tueurs-nés...), joué des petits rôles dans les œuvrettes de ses potes (Alexander Rockwell, Spike Lee, Robert Rodriguez...) reconnaissons-le, un peu n'importe quoi. Les anti-Tarantino avaient peut-être raison : l'auteur de Reservoir dogs ne serait qu'un arriviste cocaïnomane aux chevilles aussi grosses que la tête, un branleur californien de plus, incapable de garder les pieds sur terre une fois la lune décrochée. Peut-être. N'empêche, Pulp est toujours là, Pulp tient le coup, preuve tangible que l'on n'a pas complètement rêvé, qu'un cinéaste diablement doué nommé Tarantino a bel et bien existé. On ne rappellera pas les qualités intrinsèques de Pulp génie du casting, construction en boucle temporelle virtuose, dialogues hilarants portés dans le rouge comme un duel de guitares électriques, etc. On constatera qu'au-delà de clins d'œil anecdotiques, le cinéma de Tarantino est profondément godardien. Comme l'auteur d'A bout de souffle, Tarantino a pris acte de la mort du cinéma de genre ; il sait qu'on ne peut plus filmer des flics et des gangsters comme si Hawks, Fuller ou Aldrich n'avaient jamais existé. Godard et Tarantino opèrent un même travail de deuil, mais différemment : en bon Européen des années 60 élevé au grain Bazin, Godard portait le crêpe avec un peu d'ironie et beaucoup de mélancolie ; en bon Américain des années 80 élevé au rock et aux vidéo-cassettes, Tarantino s'agite sur les décombres avec beaucoup plus d'énergie et de jubilation, bricole son cinéma comme on customise une bagnole. (Source Serge Kaganski 1996).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.